Contes composés pour
le camp d'hiver 2004 des louveteaux de Coaticook, avec le thème :
"Les harfangs des neiges aident les samouraïs à sauver
les macaques"
Le samouraï oublié, auteur : Denis
Wolfshagen
Les sources d'eau chaude, auteur : Anne Moreau
Cet été-là, Mariko et Hanji devaient passer leurs
vacances chez Sato, l'oncle de leur mère. Les jumeaux aimaient
bien leur oncle Sato, mais... une heure à la fois.
Celui-ci était en effet un peu étrange aux yeux d'un
petit garçon et d'une petite fille de leur âge. En fait,
Sato était probablement étrange aux yeux des gens de tous
les âges. Il ne parlait pas pendant des jours, puis un beau matin,
il pouvait se mettre à raconter une histoire sans fin. Toujours
la même d'ailleurs. Toute la famille connaissait l'histoire de
Sato : il prétendait qu'il était un grand samouraï,
qu'il avait participé à maintes batailles épiques,
qu'il avait triomphé dans tous ses combats. Il affirmait
être devenu un grand chef parmi les samouraïs, un
général, et c'est ainsi, au sommet de sa gloire, qu'il
connut finalement la défaite.
Étrange défaite, étrange combat, étrange
destin. Sato, jadis le chef d'une armée de samouraïs,
était maintenant jardinier de quelques rangs d'ail. Alors qu'il
était ce grand foudre de guerre, ses ennemis le craignaient tant
que nul n'osait l'affronter. Mais un adversaire plus rusé eut
l'idée de recourir à Li Maï, la sorcière
d'Hokkaïdo. Il la fit venir dans son coin de pays et la paya
très cher pour qu'elle le débarrasse de Sato et de ses
puissants samouraïs.
- Veux-tu que je les foudroie ou que je les broie? Demanda Li Maï
- Ni l'un ni l'autre, répondit l’adversaire de Sato. Garde-les
plutôt en vie et humilie mes ennemis que je déteste.
- Très bien, dit la sorcière, puisque tu me payes, je
ferai comme tu me le demandes.
Li Maï partit déguisée sous des haillons,
vêtue comme une vieille paysanne. C'est ainsi, prétendant
livrer des choux, qu'elle pénétra dans le camp des
samouraïs de Sato. À ces légumes, elle jeta un sort :
« Quiconque en aura mangé, en macaque sera
changé ». Les choux délicieux furent engloutis
jusqu'à la dernière feuille par tous, sauf par Sato,
auquel la sorcière avait réservé un autre sort.
Elle attendit devant la maison que Sato sorte. Quand il parut sur le
seuil et constata l'état simiesque de sa troupe, il fut vert de
rage. Et lorsque la sorcière, s'étant glissée
derrière le grand samouraï, lui jeta un sort
d'immobilité, il comprit qu'il n'avait pas affaire à un
adversaire ordinaire.
- Qui es-tu? siffla-t-il entre ses lèvres immobiles.
- Je suis Li Maï, répondit la perfide sorcière. Vois
maintenant ton armée hurlante, sautillante et ridicule. À
toi, j'ai réservé un autre destin.
Elle sortit une paire de ciseaux et découpa dans le kimono du
samouraï une bande de tissu. Elle dit encore à Sato :
- Désormais, tu seras jardinier. Tous auront oublié qui
tu es, ainsi que ton armée. Et ce sort est scellé par le
morceau d'étoffe que j'emporte.
La sorcière partit et bientôt Sato put remuer de nouveau.
Pour un général, ce qui lui arrivait était pire que
de devenir macaque. Car au moins les singes avaient oublié qui
ils étaient. Depuis ce funeste jour, Sato est un jardinier, et
personne ne croit son histoire.
Mariko et Hanji n'y croient pas plus que les autres, et l'ont
écoutée eux aussi maintes fois, malgré leur jeune
âge. Sato la raconte encore, bien qu'elle attire sur lui les
moqueries de tous ceux qui l'entendent.
- Tu as passé trop de temps sous le soleil, vieux jardinier, lui
lance-t-on
Et alors, Sato s'enferme à nouveau dans le silence.
Quelques jours après leur arrivée chez leur oncle, les
jumeaux dénichèrent un coffre dans le grenier. Et dans ce
coffre, ils trouvèrent un vieux kimono, auquel il manquait un
morceau.
Ainsi, découvraient-ils que cette histoire était
peut-être vraie. Ils savaient maintenant comment ils passeraient
le reste de leurs vacances : ils deviendraient des enquêteurs! Ils
parcoururent la campagne environnante et le village à la
recherche d'indices. On apercevait facilement les singes, mais aucune
trace de samouraï.
Ils eurent aussi l'idée de chercher le plus vieil habitant de la
région. Ils le trouvèrent assis sous un arbre, vêtu
d'un étrange vêtement fait de mille pièces
dépareillées, en train de peindre un paysage. Le
vieil homme, content d'avoir de la jeune visite, répondit
abondamment à leurs questions.
- Sato? Oui, je me souviens quand Sato est arrivé. Il cherchait
du travail, mais tout ce qu'il savait faire, c'était jardiner. Il
a refusé longtemps cet ouvrage, mais bientôt la faim l'a
fait céder.
Ah! Oui, ajouta le vieil homme, je m'en souviens, c'était
l'année où les singes sont apparus. Il avait une
drôle d'allure, ce Sato, lorsqu'il arriva avec ses airs de
grandeur et ce kimono qu'il avait dû dérober à un
grand seigneur.
Mariko demanda :
- Mais n'avez-vous pas vu aussi une vieille paysanne arriver et
repartir de la région?
- Une paysanne? Interrogea le vieil homme, attendez un peu... Ah! Bien
sûr, c'est la Mordue, comme on l'a appelée. Ça,
c'était rigolo. Cette vieille femme était arrivée
avec des airs hautains et des paroles méprisantes. Elle cherchait
je ne me souviens plus qui. Lorsqu'elle repartit, un des singes la
mordit là où le dos perd son nom. Elle déguerpit en
vitesse quand la horde de macaques se mit à tirer en hurlant sur
ses bagages et ses vêtements. On retrouva de ses affaires
dispersées sur une bonne distance le long du chemin.
- Qu'est-ce qu'il y avait dans ses bagages? Demanda Hanji
- Oh, pas grand-chose, dit le vieux. Deux chemises et une pantoufle, un
bout de tissu et un peigne, et peut-être encore un ou deux trucs.
Les enfants repartirent, maintenant convaincus de la
véracité de l'histoire de Sato, mais
désespérés de jamais retrouver le morceau de kimono.
Mais alors qu'ils arrivaient près du jardin de Sato, une
chouette descendit à deux pas d'eux.
- Tiens! Une chouette, dit Mariko
- Un harfang! Répondit la chouette... euh... le harfang.
Voilà qui étonna les deux enfants.
- Vous parlez? Demanda Hanji?
- Parfois, mais discrètement. Je suis un harfang d'une ancienne
lignée, qui fut jadis très près des hommes. Allez,
je dois partir. Sayonara!
- Un instant, s'écria Mariko, vous ne sauriez pas où sont
allés les objets qu'une vieille femme a perdus il y a longtemps,
après qu'elle ait été mordue par un singe?
- Ah! Les affaires de la Mordue. Elles sont parties au vent ou ont
été ramassées, je ne sais trop...
Voyant la mine déçue des enfants, le harfang demanda :
« Mais pourquoi cette question? » Et les enfants
racontèrent au harfang l'histoire de la pièce manquante.
- Je vois, s'exclama le harfang. Revenez ici à la fin de vos
vacances, j'aurai à vous parler.
Le reste de l'été se passa sans que l'enquête
n'avance. Et Sato ne disait toujours rien.
La veille du départ, les enfants revinrent au lieu de
rendez-vous. Le harfang les y attendait.
- Bonjour!
- Bonjour!
- Alors, dit le harfang, votre enquête?
- Nous sommes bredouilles, répondirent les jumeaux.
- C'est que vous ne savez pas chercher, répliqua le harfang.
Avant de partir, vous devriez regarder à nouveau le kimono, et
reprendre votre enquête là où vous l'avez
commencée. Au revoir!
Les enfants remontèrent au grenier, examinèrent
longuement et minutieusement le kimono auquel il manquait une
pièce. Puis, ils allèrent revoir le vieil homme. Celui-ci
était encore vêtu de son étrange habit.
- Dites-nous d'où vous vient ce vêtement?
Demandèrent les jumeaux.
- Ah! Ça, c'est une bien gentille cousine qui me l'a
confectionné. Il est curieux, mais si confortable que j'aime le
mettre. Elle l'a cousu avec des morceaux de soie trouvés un peu
partout.
Hélas, ajouta le vieillard, je l'ai tant porté qu'il est
maintenant trop usé, sauf ce morceau, dit-il en posant le doigt
sur son col.
Et les enfants aperçurent ce qu'ils auraient dû voir il y
a longtemps : le col était fait avec la bande de tissu
découpée dans le kimono. La cousine avait trouvé ce
lambeau échappé par la sorcière. Les jumeaux
convainquirent sans trop de peine le vieillard de leur donner son col et
ils purent repartir avec la partie manquante du kimono.
Ils coururent chez leur oncle en remarquant que les singes semblaient
étrangement s'attrouper autour de la maison. Ils
grimpèrent au grenier, sortirent le kimono du coffre, et y
cousirent la pièce trouvée. Elle s'ajusta parfaitement au
vêtement.
Ils descendirent voir Sato et lui montrèrent l’habit maintenant
complet.
La main tremblante, il saisit son kimono et l'enfila. Son dos
voûté se redressa, ses épaules s'élargirent
et ses traits rajeunirent. À son côté apparut un
sabre et sur sa tête était posé un Kabuto.
Sato le général sortit de la maison, et à sa vue,
tous les macaques redevinrent les samouraïs de son armée
oubliée.
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Il y a très longtemps, dans un pays très lointain,
vivaient des samouraïs. Dans ce lointain Japon, il y avait
plusieurs clans de samouraïs, et comme ils sont des guerriers, les
batailles entre ces clans étaient fréquentes. Un des
clans, tout au nord du Japon, était spécial, car ses
samouraïs savaient parler aux animaux. Ils avaient des
espèces favorites : les harfangs, qui pouvaient leur servir
d'espion, car en volant haut dans le ciel, ces oiseaux pouvaient les
prévenir si des ennemis s'approchaient.
L'autre espèce favorite était les macaques. En
étant beaucoup plus petits que les hommes, ces singes pouvaient
se faufiler n'importe où sans se faire voir. Ils
dérobaient même la nourriture aux ennemis sans qu'on ait eu
à leur montrer. Et même s'ils étaient vus, qui
aurait pu penser qu'un si mignon petit macaque est un espion?
Mais une année, il y eut un hiver très froid. Les plumes
des harfangs les protégeaient bien de la froidure, mais les
pauvres macaques gelaient, leur fourrure étant trop courte…
Beaucoup sont morts de froid. Les samouraïs inquiets ne savaient
pas quoi faire pour protéger leurs petits amis… Ils ont bien
essayé de leur fabriquer de chauds manteaux, mais les singes ne
les aimaient pas, car cela gênait trop leurs mouvements. Comme les
hiboux et chouettes sont reconnus pour être des sages, le shogun
décida de consulter le roi des harfangs.
-Ô grand roi blanc, vois dans quel embarras nous sommes. Nos
amis, vos amis, les macaques, sont en train de mourir, car ils sont
sensibles au froid… Que pouvons-nous faire? Avez-vous une
idée?
Le roi des harfangs avait bien une idée, mais il ne la dit pas
tout de suite au shogun, car il n'était pas sûr qu'elle
réussirait. Il réunit peu après tous ses harfangs
et leur parla ainsi : Harfangs des neiges, nous devons tenter quelque
chose pour sauver nos amis les macaques… J'ai bien une idée, mais
cela pourrait être très dangereux. Qui veut m'accompagner?
Tous les harfangs ululèrent pour dire qu'ils étaient tous
volontaires… Et l'on vit une grande nuée s'envoler très
haut dans le ciel, tout droit vers le soleil.
Ils volèrent longtemps, très longtemps, et
arrivèrent près du soleil… les plumes les
protégeaient de la chaleur aussi bien qu'elles les
préservaient du froid de l'hiver, mais ils devaient faire vite,
car le soleil est quand même très chaud… Chaque harfang
prit dans son bec un tout petit morceau du soleil, et chacun reprit
ensuite le chemin du Japon…
Les harfangs déposèrent tous leur parcelle de soleil aux
pieds du Shogun, et bientôt, la neige fondit tellement qu'elle
forma un petit lac, et comme les morceaux de soleil étaient
vraiment très chaud, l'eau de ce petit lac était bien
confortable, même en plein hiver… Les samouraïs
portèrent les macaques encore vivants, mais trop faibles pour
marcher dans cette source d'eau chaude, et la chaleur les aida
bientôt à reprendre toute leur vigueur. Et la chaleur de
ces parcelles était si intense, que l'on trouve encore de nos
jours de ces sources d'eau chaude où les macaques frileux peuvent
aller se réchauffer.
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